Un grand bond en avant

Jackie Robinson et les Royaux vus de Montréal

Par Jack Anderson. Traduction française de Philippe Cousineau

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Le mardi 23 octobre 1945, 15 journalistes sportifs et reporters montréalais ont été invités à assister une conférence de presse au stade Delorimier, le domicile des Royaux de Montréal, sous promesse d’une «annonce majeure». Lors des récentes séries éliminatoires, les champions de la saison régulière de la Ligue Internationale, un circuit de calibre AAA, avaient été défaits par les Bears de Newark, qui avaient fini deuxième, en dépit d’une excellente fiche de 95 victoires et 58 défaites et d’un appui indéfectible de leurs partisans, avec des foules ayant atteint jusqu’à 22 000 spectateurs par partie.

Aucun des journalistes n’avait la moindre idée de ce que les Royaux étaient sur le point d’annoncer. Il y avait donc toutes sortes de spéculations qui circulaient, comme par exemple que Babe Ruth pourrait être nommé comme prochain gérant des Royaux, ou même, dans les rêves les plus fous de certains, que tel que rapporté par Harold Adkins du Montreal Star, Montréal serait sur le point de se voir attribuer une franchise de la Ligue Nationale, possiblement les Phillies de Philadelphie à en croire les rumeurs. Les Royaux se cherchaient un nouveau gérant, puisque en raison d’un différend salarial, le titulaire du poste, Bruno Betzel, avait quitté l’équipe pour celle des Giants de Jersey City. Dink Carroll, l’éditeur sportif depuis nombre d’années de la Montreal Gazette, a déclaré : «Nous avions entendu que les Royaux étaient sur le point d’annoncer l’embauche de Babe Ruth comme gérant. Ça aurait créé toute une nouvelle. Mais ce qui nous attendait était quelque chose de tout à fait différent.»

Montréal était la plus grande ville du Canada en 1945, sa métropole et son cœur industriel. Les Montréalais étaient fiers autant du gros effort de guerre fourni par leur pays entre 1939 et 1945 que de leur équipe dans la LNH, les Canadiens de Montréal, ou de leur équipe de baseball. Avec une population avoisinant le million d’habitants, dont presque 80 pour cent étaient d’origine française, Montréal était la deuxième plus grande ville francophone au monde après Paris. Les Royaux avaient même réussi l’exploit d’attirer plus de spectateurs que plusieurs clubs des ligues majeures en 1945, comme les Braves de Boston, les Reds de Cincinnati ou les Phillies de Philadelphie. Et dans le cas de ces deux derniers, c’était par une marge de plus de 100 000 partisans. Les citoyens et les journalistes sportifs étaient donc convaincus qu’une équipe des ligues majeures y connaîtrait le succès. Et comme les directeurs-gérant des Royaux allaient le découvrir en ce qui avait trait à leurs joueurs, Montréal jouissait d’une vie nocturne incroyablement variée, avec bars clandestins ouverts toute la nuit, casinos, et clubs de nuit ; seule la ville de New York pouvait lui faire concurrence sur ce front en Amérique du Nord.

Mais il ne s’agirait pas de l’annonce d’une franchise des ligues majeures, ou encore de la venue de Babe Ruth comme gérant, mais plutôt le président du club, Hector Racine, le vice-président Roméo Gauvreau, et le directeur des filiales des Dodgers, Branch Rickey fils, escortés par un jeune homme de couleur bien musclé qu’ils ont présenté comme étant Jack Roosevelt Robinson, le nouveau joueur mis sous contrat par les Royaux de Montréal. Hector Racine a annoncé : «Je vous présente le tout nouveau membre de l’organisation des Dodgers de Brooklyn. L’année dernière, il était l’arrêt-court étoile des Monarchs de Kansas City. Il va obtenir toutes les chances de s’aligner avec les Royaux pour la prochaine saison, en 1946.»

Jackie Robinson signe son contrat avec les Royaux sous les regards du président de l’équipe, Hector Racine, du directeur des filiales des Dodgers, Branch Rickey fils ainsi que du vice-président des Royaux, Roméo Gauvreau.

«Il n’y a eu ni applaudissements, ni réactions virulentes. Si je devais résumer le point de vue des journalistes présents en deux mots, je dirais : neutralité hostile» a expliqué Al Parsley, journaliste sportif au Montreal Herald.

Un silence étonné, puis les reporters se sont précipités au téléphone pour dicter la manchette à leurs quotidiens et stations radio. Jackie et l’équipe dirigeante des Royaux ont pris la pose pour la postérité devant les photographes, alors qu’ils apposaient leur signature au contrat. Jackie a déclaré : «Bien sûr, je ne peux pas vous décrire à quel point je suis heureux d’être le premier de ma race à rejoindre le baseball organisé. Je peux simplement vous dire que je ferai de mon mieux pour être à la hauteur, de toutes les façons possibles».

Dink Carroll a ajouté plus tard : «Je ne dirais pas qu’il a transformé tous les païens en chrétiens sur le champ. Lloyd McGowan du Star a dit que le baseball n’avait pas besoin de Jackie Robinson. Mais au moins, Robinson a pris un bon départ. Plusieurs étaient impressionnés simplement parce qu’il s’exprimait de manière intelligible.»

Branch Rickey avait voulu garder secrète la mise sous contrat de Jackie Robinson jusqu’à ce qu’il ait pu compléter celles d’autres joueurs des Ligues des Noirs, comme le receveur Roy Campanella, et les lanceurs Don Newcombe, Roy Partlow et John Wright. Cependant, le maire de New York, Fiorello La Guardia, en pleine campagne électorale, avait proposé que le baseball majeur soit intégré. Il poussait pour que les clubs new-yorkais annoncent qu’ils comptaient bel et bien embaucher des joueurs de couleur. Rickey a alors immédiatement contacté Jackie Robinson et fait en sorte qu’il s’envole pour Montréal sur le champ pour que les Royaux effectuent leur annonce.

Comme on pouvait s’y attendre, les réactions étaient mitigées. Le président de la Ligue Internationale, en fonction de 1936 à 1960, Frank «Shag» Shaughnessy, a déclaré : «Tant qu’un joueur répond à nos critères et peut produire tout en s’entendant avec ses coéquipiers, il devrait pouvoir jouer au baseball». Bien que né en Illinois, Shag résidait à Montréal depuis peu après la fin de sa carrière comme joueur des ligues majeures, de 1905 à 1908, et il avait servi comme gérant des Royaux entre 1932 et 1934.

D’autres étaient moins favorables. Herb Pennock, le directeur-gérant des Phillies, a déclaré qu’il accepterait l’intégration en autant que Jackie ne vienne pas à Philadelphie pour y disputer des matchs. Il semblerait à ces propos que l’expression «Pas dans ma cour» ait déjà été d’actualité dans les années 1940.

T.Y. Baird, le président des Monarchs de Kansas City des Ligues des Noirs a avancé que Jackie Robinson était toujours propriété des Monarchs, mais Branch Rickey a répondu que, selon son opinion, les Ligues des Noirs ne faisaient pas partie du baseball organisé et en conséquence que les contrats que leurs joueurs avaient signés n’avaient aucune valeur au plan juridique. Rickey s’était assuré que tous les contrats qu’il faisait signer à d’anciens joueurs des Ligues des Noirs contiennent une clause indiquant que le joueur affirmait ne pas être sous contrat avec une autre équipe.

Le lanceur Bob Feller des Indians de Cleveland a exprimé l’opinion que Robinson n’était pas du calibre des ligues majeures, puisque son haut du corps était trop musclé, ce qui nuirait à son élan au bâton. Mais le destin joue parfois des tours, et en 1962 Feller et Robinson seraient intronisés conjointement au Temple de la Renommée.

Le New York Daily News a déclaré que, bien qu’il soit en faveur de l’intégration du baseball, il croyait que Jackie Robinson n’avait qu’une chance sur mille de réussir. Le Sporting News a ajouté : «Si Jackie Robinson était blanc, le mieux qu’on lui offrirait serait un essai dans la Classe B des ligues mineures – s’il avait six ans de moins.»

Le président des Royaux, Hector Racine, a déclaré que Jackie avait été chaudement recommandé par la direction des Dodgers, et que cela lui suffisait. Il a ajouté que la mise sous contrat de Robinson était «une question d’équité». Le directeur des filiales des Dodgers, Branch Rickey fils, a dit aux journalistes que «sans aucun doute, nous serons la cible de critiques de la part de secteurs où les préjugés raciaux sont nombreux» et il a ajouté que les Dodgers «ne cherchaient pas à causer un esclandre, mais ne s’y soustrairaient pas si c’était le cas». Il a ajouté que «certains joueurs pourrait préférer démissionner» plutôt que de partager le terrain avec des joueurs noirs, mais que ceux-ci «reviendraient au baseball après une année ou deux à travailler dans une filature de coton.» Et de poursuivre : «Jackie Robinson est un jeune homme de grande valeur – intelligent et un diplômé universitaire, et je crois aussi qu’il est capable d’en prendre».

Dans son autobiographie intitulée «I Never Had it Made», Jackie a déclaré qu’il se souvenait plutôt que Branch Rickey fils avait dit «Je crois aussi qu’il peut réussir.» Et Jackie de poursuivre : «Je comprend à quel point c’est important pour moi, pour ma race, et pour le baseball. Je peux simplement vous dire que je ferai de mon mieux pour être à la hauteur, de toutes les façons possibles».

La réaction au Canada à la mise sous contrat de Robinson était surtout positive, comme l’avait écrit Paul Parizeau dans Le Canada, disant qu’il était fier d’apprendre que Branch Rickey croyait que Robinson serait mieux reçu à Montréal qu’aux États-Unis, et que cela démontrait que Montréal était la ville la plus démocratique au monde». 

Plusieurs considèrent que Rickey avait délibérément choisi des villes francophones pour l’intégration des joueurs noirs, parce que les Francophones montreraient plus d’empathie pour les joueurs issus d’une minorité raciale, faisant eux-mêmes partie d’une minorité. Les Dodgers se sont servis de Montréal au niveau AAA, de Trois-Rivières au niveau C, et de Nashua au New Hampshire au niveau B pour mettre en œuvre l’intégration des anciens joueurs des Ligues des Noirs. Branch Rickey avait demandé à Buzzie Bavasi d’identifier une ville en Nouvelle-Angleterre qui serait prête à appuyer une équipe intégrée, et Bavasi avait choisi Nashua à cause de son importante population canadienne-française et de son quotidien aux idées progressistes en matière de relations raciales. Un autre journal anglophone a rapporté que plusieurs personnes les avaient appelé le soir de la conférence de presse, en voulant savoir quelle était la nouvelle importante en provenance des Royaux. Ils n’étaient pas plus intéressés qu’il ne le faut d’apprendre qu’il s’agissait de la mise sous contrat d’un joueur de race noire, eux qui espéraient l’attribution d’une franchise des ligues majeures. 

Les joueurs noirs n’étaient pas un phénomène nouveau à Montréal puisque Chappie Johnson avait organisé une équipe appelée les Panthères noires dans la Ligue de Montréal au cours des années 1920. Un historien du baseball, Christian Trudeau, a récemment établi dans un article publié par SABR que Charlie Culver avait joué en 1922 dans la Ligue de l’Est du Canada, un circuit de Classe B faisant partie du baseball organisé. Culver avait été un joueur étoile pour des équipes semi-professionnelles de la région montréalaise pendant de nombreuses années, et a plus tard été gérant dans la Ligue Provinciale. Lors de sa première visite, Jackie n’est pas resté longtemps à Montréal, quittant la ville pour New York dès le lendemain afin de rejoindre un groupe de joueurs qui participaient à une tournée de matchs hors-concours à travers le pays.

En décembre 1945, Branch Rickey a annoncé que le nouveau gérant des Royaux de Montréal serait Clay Hopper, un homme âgé de 44 ans originaire du Mississippi. Baz O’Meara de la Gazette a rapporté : «Hopper est un gentilhomme qui parle avec l’accent traînant typique des gens du sud profond, et c’est lui qui va devoir s’occuper de Jackie Robinson». Hopper a plus tard demandé à Rickey d’envoyer Jackie ailleurs, argumentant que le fait de diriger Robinson le forcerait à déménager sa famille et d’élire domicile à l’extérieur du Mississippi. Lors d’une autre occasion, lorsque Rickey avait décrit un attrapé de Robinson comme un «jeu surhumain», Hopper aurait répliqué : «M. Rickey, vous croyez vraiment qu’un n*** est un être humain ?»

On penserait que Hopper constituait un choix étrange pour quelqu’un d’aussi méticuleux que Branch Rickey, mais la suite des événements allait démontrer que Rickey avait fait un choix éclairé. La première fois où Rickey avait offert un poste de gérant à Hopper en 1929, ce dernier n’était âgé que de 27 ans, et Rickey appréciait ses qualités de meneur d’homme. Ces qualités allaient subir tout un test en 1946.

Le gérant des Royaux, Clay Hopper

Une des premières questions que Branch Rickey a posé à Jackie lors de leur rencontre historique du 28 août 1945, était : «As-tu une petite amie ?» Jackie a informé Rickey de ses fiançailles à la très jolie et brillante Rachel Isum, une infirmière diplômée qui habitait à Los Angeles. Branch lui a répondu : “Tu sais que tu as une petite amie. À la fin de cette aventure, tu voudras peut-être l’appeler parce qu’il y a des moments où un homme a besoin d’une femme à ses côtés.» Rickey avait parfaitement raison dans son évaluation de la situation. Rachel dira plus tard à propos de Rickey qu’elle avait prévenue Jackie des difficultés à venir, et que Branch était un homme d’affaires avisé et quelqu’un qui faisait preuve de sagesse en ce qui a trait aux relations interpersonnelles.

Jackie Roosevelt Robinson et Rachel Isum se sont mariés le 10 février 1946 à West Los Angeles. Deux semaines plus tard, ils ont commencé un périple transcontinental de deux semaines pour rejoindre le camp d’entraînement des Royaux à Daytona Beach, en Floride. Rachel a raconté qu’ils étaient particulièrement préoccupés d’arriver à temps et prêts au travail, et qu’ils «connaissaient trop bien le stéréotype racial qui prévalait parmi les blancs, et qui était trop souvent transformé en réalité par les noirs».

Leurs problèmes ont débuté presque dès que leur avion se soit posé à la Nouvelle-Orléans, où ils ont été informés qu’ils avaient perdu leurs sièges pour leur prochain vol et qu’il n’y avait plus d’autre avion ce soir-là. Après avoir passé la nuit dans un hôtel miteux, ils ont pris un vol pour Pensacola, en Floride, où on leur a à nouveau retiré leurs sièges. Obligés de poursuivre leur trajet dans un autobus divisé selon la race des passagers, ils sont finalement arrivés à destination 16 heures plus tard, avec plusieurs jours de retard. Ils ont été accueillis là-bas par le journaliste sportif Wendell Smith du Pittsburgh Courier et par le photographe Billy Rowe, embauchés par Branch Rickey pour escorter le couple pendant le camp d’entraînement. Rickey avait réservé des chambres chez Duff et Joe Harris, membres de la communauté noire locale, à l’écart du reste des membres des Royaux.

Quand les matchs d’entraînement ont commencé, les Royaux se sont fait refuser l’accès à des parties prévues à Jacksonville et Deland, et expulser du stade de Sanford, uniquement en raison de la présence de Jackie Robinson et de son coéquipier de race noire, le lanceur John Wright. Rachel a dit que «ces événements ont pesé sur Jack et il a commencé à essayer de trop en faire pour mériter son poste au sein de l’équipe, puisque les joueurs recrues pouvaient être renvoyés avant la fin du camp d’entraînement. Il s’élançait avec trop de force au bâton, et il avait des problèmes de sommeil et de concentration.» De plus, des maux de bras l’avaient forcé à quitter sa position d’arrêt-court, qui était la sienne avec les Monarchs de Kansas City, pour jouer d’abord au deuxième but, puis au premier coussin. Rachel a ajouté: «Il est tombé en léthargie, cette maladie mystérieuse qui affecte même les meilleurs joueurs, mais vers la fin du camp, il s’en est sorti, a commencé à frapper, et a décroché un poste au sein de l’équipe».

Mais il restait du chemin à faire, comme l’a écrit dès le 6 mars le journaliste du New York World-Telegram Dan Daniel, deux jours avant l’arrivée de Robinson, disant qu’il n’était pas du calibre de la Ligue Internationale. La Presse a ajouté le 7 mars que «Il est peut-être trop tôt pour le dire, mais nous avons l’impression que Robinson ne jouera pas avec les Royaux cette saison». Et ce avant même que Jackie et John Wright aient disputé un match, puisqu’ils n’ont fait partie de l’alignement pour la première fois que le 17 mars. La direction des Royaux en a vite eu assez des excuses cousues de fil blanc avancées par les municipalités floridiennes, y compris à Deland, où le match auquel devaient prendre part les deux joueurs noirs montréalais avait été annulé en raison de soi-disant problèmes d’éclairage, en dépit du fait qu’il s’agisse d’un match disputé en après-midi. Le propriétaire des Royaux Hector Racine a annoncé : «Pour nous, ce sera tout ou rien. Soit Robinson et Wright vont jouer, ou il n’y aura pas de parties», et le gérant Clay Hopper était prêt à l’appuyer sur ce principe. Le directeur-gérant Mel Jones a été encore plus loin : «Nous sommes prêts à ne pas jouer un seul autre match hors-concours. S’ils ne veulent pas jouer contre notre équipe complète, ils peuvent se retirer des matchs». Les Royaux ont montré qu’ils ne badinaient pas en déplaçant un match de Deland à Daytona Beach, et les quatre parties qu’ils devaient disputer en route vers le nord avant le premier match de la saison ont toutes été annulées.

Le 5 avril, les Royaux ont affronté les Indians d’Indianapolis et leur lanceur très expérimenté, Paul Derringer. Ce dernier a immédiatement offert à Robinson le traitement réservé aux grandes vedettes – en lançant avec force et à l’intérieur, l’obligeant à se coucher par terre à deux reprises. Mais chaque fois, Robinson a répliqué, d’abord avec un simple, puis un triple. Derringer a parlé à Hopper après le match et lui a dit que Jackie avait passé le test : «Clay, ton garçon de couleur va bien se tirer d’affaires».

Wendell Smith a écrit dans l’édition du 6 avril du Courier que Wright et Robinson s’étaient tous les deux taillé une place dans l’alignement, même s’il n’y avait pas encore de confirmation officielle. Le match des Royaux disputé le lendemain à Sanford a été interrompu dès la 2e manche par le chef de police, celui-ci insistant pour que Robinson soit expulsé du terrain parce qu’un arrêté municipal interdisait les sports mixtes. Jackie avait déjà frappé un simple, volé un but et marqué un point. Il était de retour dans l’alignement partant le jour suivant et a frappé un triple, soutiré un but sur balles, et marqué deux points contre Jersey City.

Wright et Robinson au camp d’entraînement à Daytona beach.

Le 8 avril, les Royaux ont affecté Lou Rochelli, l’autre candidat au poste de deuxième-but, aux Saints de Saint-Paul, au Minnesota, une équipe faisant partie de l’Association Américaine. Au sujet de Rochelli. Jackie a écrit dans son autobiographie : «La générosité et l’amitié que m’a témoigné un coéquipier blanc lors de mes premiers jours à Montréal constituent un souvenir qui m’est cher» et que Rochelli, même s’il se savait en compétition contre Robinson pour le poste au deuxième coussin, «a passé beaucoup de temps à m’aider et à m’enseigner les rudiments du métier pour être à la hauteur au deuxième but». L’arrêt-court des Royaux, Stan Bréard, un Montréalais très populaire auprès des amateurs, était aussi un grand supporter de Jackie. Quand un roulant a pris un mauvais bond pour frapper Robinson au visage, Bréard s’est amené au pas de course pour s’assurer que son coéquipier ne s’était pas blessé.

En ce qui a trait à Clay Hopper, tous sont d’accord pour dire qu’il a traité autant Jackie Robinson que John Wright de manière équitable. Il n’a jamais dit un mot contre la grande expérience tentée par Rickey et a appuyé la position de principe prise par l’équipe dans ses déplacements à travers la Floride. Lorsque l’équipe est finalement arrivée à Montréal, Hopper parlait de Robinson en termes élogieux, l’appelant «un type bien et un membre à part entière de mon club de baseball» et n’hésitait pas à vanter auprès des journalistes sportifs ses exploits défensifs ou sur les sentiers. Quand le Star a publié à l’occasion du match d’ouverture une page représentant Abraham Lincoln entouré de Rickey, Racine, Robinson et Hopper, le sudiste a demandé qu’on lui remette l’original du dessin pour son domicile du Mississippi.

À la fin du camp d’entraînement, le Montréal-Matin a annoncé que Robinson avait décroché un poste avec les Royaux et qu’il serait le deuxième-but partant en raison de «son jeu vraiment sensationnel lors du camp d’entraînement». Il s’agissait clairement d’une exagération, puisque son malaise au bras, ses nuits à mal dormir et le harcèlement ininterrompu provenant des gradins pourraient facilement expliquer pourquoi ses statistiques n’avaient rien de très spectaculaire : une moyenne au bâton de .280, avec deux doubles et deux triples, 7 buts sur balles et 5 buts volés.

Les statistiques de John Wright au monticule étaient encore pires, mais il n’avait lancé que 10 manches, alors que plusieurs lanceurs des Royaux avaient accumulé 30 manches ou plus. D’après Jackie, «chaque fois qu’il se présentait sur le terrain, il semblait perdre son contrôle et il essayait d’en faire trop». Lors de sa dernière présence du camp d’entraînement, Wendell Smith a écrit qu’il «avait moins de contrôle qu’un zèbre égyptien» après qu’il eût accordé quatre buts sur balles et atteint un frappeur au cours de la seule manche qu’il ait lancée. Quelques années plus tard, l’as dépisteur Clyde Sukeforth a dit qu’ils ne s’attendaient pas à grand chose de la part de Wright, mais étaient d’avis qu’il ferait un bon compagnon pour Jackie.

Il y avait beaucoup d’anticipation dans les gradins quand près de 52 000 spectateurs bien en voix ont rempli le Stade Roosevelt de Jersey City bien au-delà de sa capacité. La femme de Jackie, Rachel, était si nerveuse dans les gradins qu’elle ne pouvait pas s’asseoir. Lors de sa première présence au bâton en 1ère manche, Jackie a frappé un faible roulant à l’arrêt-court. À sa prochaine présence en 3e manche, les Giants s’attendaient à un amorti avec deux coureurs sur les sentiers, mais Jackie a frappé un circuit bon pour trois points au-dessus de la clôture du champ gauche pour procurer une avance de 5-0 aux Royaux. Lorsqu’il a touché le marbre, Jackie a été accueilli par le frappeur suivant, le voltigeur George «Shotgun» Shuba. Shotgun s’est empressé de prendre la main de Jackie pour le féliciter pendant que la foule grondait son approbation. Alors qu’il est retourné à l’abri des joueurs, ses coéquipiers ont exprimé leur appréciation. Jackie a dit «c’est ce jour-là que le barrage a cédé entre mes coéquipiers et moi. Sudistes ou nordistes, ils m’ont laissé savoir qu’ils appréciaient ce que je venais de faire».

La célèbre poignée de mains de George Shuba à Jersey City.

La Patrie a tout dit dans un grand titre dans la section des sports : «Robinson joue le rôle du héros», ce à quoi le Courier a fait écho par sa propre manchette, «Jackie a volé le spectacle». Jackie a frappé quatre coup sûrs en cinq présences avec un circuit, trois simples, quatre points produits et quatre points marqués, tout en commettant une erreur. À la fin de la partie, les amateurs se sont rués sur le terrain pour féliciter Jackie, lui serrer la main et obtenir son autographe. Finalement le costaud voltigeur des Royaux, Red Durrett, qui avait frappé deux coups de circuits ce jour-là, est venu escorter Jackie pour qu’il puisse rejoindre la chambre des joueurs.

Le calendrier des matchs n’était pas vraiment facile pour les Royaux, puisqu’après la série à Jersey City, au cours de laquelle ils ont gagné deux des trois matchs, ils ont poursuivi à Newark, Syracuse et Baltimore. À l’exception de Baltimore, c’est Syracuse qui s’est révélée la moins hospitalière à Jackie Robinson et John Wright. À Syracuse, alors que Jackie se trouvait au cercle d’attente, un joueur de l’équipe locale a poussé un chat noir sur le terrain et crié à Robinson : «Hey, Jackie, voici ton cousin qui fait des pitreries sur le terrain». L’arbitre a ordonné au banc de Syracuse de se conduire convenablement.

Mais c’est Baltimore qui serait le vrai test pour la grande expérience. Le président de la Ligue Internationale, Shag Shaughnessy, avait plaidé auprès de Rickey : «Ne laisse pas ce jeune de couleur se rendre à Baltimore. Il y a du grabuge qui se prépare». Rickey a répondu : «Nous n’allons rien régler en reculant».

Il faisait un temps glacial ce samedi soir de la fin avril, et les rares partisans qui se son présentés à Baltimore ont passé leur temps a proférer les insultes raciales les plus viles, à un tel point que plus tard, Rachel a commenté que les partisans de Baltimore «ont traité Jackie des noms les plus abjects que je n’aie jamais eu à entendre». Jackie était nerveux et hésitant lors des trois matchs à Baltimore, avec seulement 2 coups sûrs en 10 présences, et de mauvais jeux en défensive, dont deux erreurs. Le lundi soir, il s’est rattrapé pour sa performance des jours précédents avec trois coups sûrs en autant de présences, et quatre points marqués. Le lanceur de Baltimore, Paul Calvert, un montréalais et un ancien des Royaux, a atteint Jackie au poignet avec un de ses tirs après sa prestation au bâton.

Bien que les Royaux n’aient complété ce voyage exténuant de début de saison qu’avec une fiche de 6-6, Jackie frappait pour .272 avec 17 points marqués et 8 buts volés.

Le 1er mai 1946 était une belle journée ensoleillée pour la tenue du match d’ouverture à domicile des Royaux au Stade Delorimier contre l’équipe visiteuse, les Giants de Jersey City. Jackie Robinson attirait toute l’attention comme le notait le Star : «Les amateurs ont apprécié ce qu’ils ont vu : un des plus grands athlètes de notre époque, ou de n’importe quelle époque, qui a tous les outils nécessaires pour être un très bon joueur de baseball». Sam Lacy a écrit que «les applaudissements pour Robinson ont fait trembler les clôtures» et Charles Mayer du Petit Journal d’ajouter que l’ovation de Jackie était la plus forte jamais offerte à un joueur des Royaux.

Jackie n’a pas connu une partie aussi explosive que lors de ses débuts contre les Giants plus tôt dans la saison, et il avait encore le poignet bandé et douloureux après avoir été atteint à Baltimore. Il a seulement obtenu un simple, un but sur balles et un point produit dans une victoire de 12 à 9 des Royaux. Les partisans l’ont quand même entouré après la partie et il a dû être conduit sous escorte par deux policiers et utiliser une porte dérobée pour quitter le stade. Rachel Robinson a remercié les partisans pour leur affection en s’assoyant à une table devant l’entrée principale du stade pour y signer des autographes.

Mais il demeurait des sceptiques, comme le rappelait Phil Séguin du journal La Patrie : «Jackie Robinson n’a pas été particulièrement impressionnant hier ; sur le terrain, il a semblé faible sur les balles frappées à sa droite, et au bâton il n’a réussi qu’une seule fois à sortir la balle de l’avant-champ, et a aussi été surpris en tentative de vol au deuxième but». Baz O’Meara du Star a écrit le 16 mai : «La plupart des observateurs croient que, dans un mois plus ou moins, Robinson ne frappera plus avec la moindre constance».

En attendant, les Robinson devaient trouver à se loger à Montréal. Rachel Robinson craignait avoir des difficultés à louer un appartement en ville, et les Royaux lui ont procuré une liste d’appartements à louer. Rachel a été chaleureusement reçue par la propriétaire du 8232, rue de Gaspé, son premier choix, qui l’a invitée à prendre un thé autour duquel les deux se sont entendues sur les termes de la location. Quand on a appris dans ce quartier francophone que les Robinson attendaient leur premier enfant, les voisins ont commencé à aider Rachel à porter ses sacs d’épicerie, alors que les femmes du quartier l’ont aidée à coudre des vêtements de maternité et lui ont offert des coupons de rationnement, l’encourageant à manger plus de viande. Son séjour à Montréal était «presque paradisiaque», remarquera-t-elle plus tard. À propos du soutien indéfectible que Rachel a témoigné à son mari, Lula Jones Garrett, une femme reporter au Baltimore African-American a dit : «La seule personne que je connaisse qui soit son égale est la première dame du monde entier, Mme Eleanor Roosevelt».

Jackie et Rachel Robinson devant leur appartement de la rue de Gaspé à Montréal.

La résilience de Rachel Robinson serait mise à rude épreuve lorsque Jackie a commencé à montrer des signes de fatigue à la mi-saison. La pression constante lui causait des insomnies et limitait son appétit. Un docteur lui a prescrit du repos loin du terrain et plus tard Clay Hopper a essayé de lui donner plus de jours de congé à mesure que la saison avançait. Rachel faisait face à ses propres défis puisqu’elle était enceinte de Jackie fils et devait se rendre régulièrement voir des médecins, étant même victime d’une médecine d’un autre âge alors qu’un docteur a refusé de procéder à un examen sans la permission explicite de son mari.

À la fin mai, la fiche des Royaux était de 27-11 et ils avaient rejoint la première place au classement de la Ligue Internationale. Jackie menait la ligue pour la moyenne au bâton, à .356, pour les coups sûrs avec 47 et les points marqués avec 38.

Jackie a manqué une semaine de jeu en raison d’une blessure à une jambe, revenant au jeu le vendredi 7 juin, dans une victoire aux dépens des Orioles de Baltimore. Il a ensuite raté des matchs contre les Orioles et toute une série face à Jersey City, alors que les Royaux prolongeaient à cinq leur série de victoires. Il a ensuite essayé de jouer le 12 juin contre Jersey City, mais a quitté le match après cinq manches en raison d’une blessure à la jambe droite. Le dimanche 16 juin, après dix-neuf jours consécutifs loin de leur domicile, les Royaux ont attiré 20 086 partisans et l’équipe locale a partagé les honneurs d’un programme double contre les Chiefs de Syracuse alors que Jackie manquait toujours à l’appel. La communauté grecque de Montréal a organisé une cérémonie spéciale entre les deux parties afin d’offrir à Al Campanis, l’arrêt-court des Royaux, un poste de radio et qu’il puisse adresser quelques mots en français à la foule en délire.

Jackie est revenu au jeu le vendredi 21 juin, lors du second match d’un autre programme double, celui-ci contre les Bears de Newark. Le 24 juin, à l’occasion de la fête de la Saint-Jean-Baptiste, patron des Canadiens français, Roy Partlow a lancé un match de cinq coups sûrs contre les Giants de Jersey City dans une victoire des Royaux, devenant ainsi le premier lanceur de race noire à recevoir le crédit pour une victoire à ce niveau dans le baseball organisé au 20e siècle. Jackie a contribué deux coups sûrs, deux points, un point produit et cinq assistances de son poste de deuxième-but. Al Parsley du Herald a rapporté que les Royaux comptaient désormais sur une deuxième étoile noire «un magicien de l’ombre» qui lançait de la gauche avec grande vélocité. Le mardi 25, Jackie a frappé un double et deux simples dans une victoire contre Jersey City, et les Royaux comptaient maintenant neuf joueurs frappant pour une moyenne supérieure à .300 au sein de leur alignement. Bruno Betzel, le gérant des Giants de Jersey City était sur place au Stade Delorimier pour voir les Royaux hisser la bannière commémorant leur championnat de 1945, alors qu’il était encore le gérant de l’équipe. Il a saisi l’occasion pour déclarer qu’en tant que gérant, il aurait aimé avoir neuf Jackie Robinson au sein de son équipe. Une autre bonne nouvelle pour les Royaux a été le retour de la vedette locale, le lanceur Jean-Pierre Roy, qui avait gagné 25 matchs pour les Royaux en 1945 et qui a enregistré sa première de la présente saison le 27 juin.

Pour terminer le mois de juin, les Royaux ont partagé un programme double contre Rochester au cours duquel Jackie a obtenu trois coups sûrs et marqué trois points alors que les partisans lui ont témoigné tout leur appui. Danny Murtaugh des Red Wings a fait trébucher Robinson lors de la première partie et a été conspué avec enthousiasme par la foule tout le reste de la journée. Pour le mois dans son ensemble, bien qu’ayant manqué plus de la moitié des matchs, Jackie a frappé .319 avec 12 points marqués, 7 points produits et 2 buts volés.

Les Royaux avaient joué leur 30 premières parties à domicile devant une foule totale de 213 3562 spectateurs, soit déjà 55 000 de plus que l’année précédente. Sur la route, avec Jackie Robinson comme tête d’affiche, les Royaux attiraient aussi des foules record. Rochester avait accueilli 14 410 spectateurs pour ses deux premiers matchs contre l’équipe montréalaise, alors qu’elle n’en avait attiré que 2 478 la saison précédente, et à Syracuse la première visite des Royaux avait résulté en un record de tous les temps en ce qui a trait au nombre de spectateurs assistant à une partie un soir de semaine.

Le stade Delorimier, le domicile des Royaux de Montréal.

Sam Maltin du Herald, qui écrivait également pour le Courier, a dit qu’il n’y avait pas le moindre doute que la popularité de Jackie était la principale raison pour la hausse des ventes de billets. Il a rapporté : «Jackie était régulièrement entouré par ses admirateurs lorsqu’il prenait le tramway pour rentrer chez lui, certains le suivant même jusqu’au pas de sa porte afin d’obtenir un autographe». Maltin a continué : «Dans les restaurants, Jackie laissait son repas refroidir parce qu’il était trop occupé à signer des autographes». L’acteur québécois Marcel Sabourin, qui a croisé Jackie dans le tramway, a déclaré : «Instantanément, il est devenu notre idole. Nous découpions ses photos pour les coller dans nos albums, et dans les ruelles, tous les jeunes qui jouaient à la balle voulaient être Jackie Robinson».

En raison de matchs annulés à cause de la pluie, les Royaux devaient mettre les bouchées doubles au début du mois de juillet avec 11 parties en 7 jours dans trois villes différentes. Ils en ont gagné 9, ce qui a augmenté leur avance en tête du classement à 10 parties et demie. Le 2 juillet, Jean-Pierre Roy a réussi un blanchissage de quatre coups sûrs et Jackie a frappé trois coups sûrs alors que les Royaux ont balayé un programme double contre Rochester. A la suite de ce marathon, l’équipe parente, les Dodgers, s’est rendue au Québec pour y disputer deux matchs pendant la pause du match des étoiles des ligues majeures, affrontant leurs filiales des niveaux C et AAA. Les Dodgers ont battu les Royaux de Trois-Rivières au pointage de 6 à 2 le 8, avant de se mesurer aux Montréalais le 9. Paul Parizeau du journal Le Canada s’est demandé s’il ne s’agissait pas d’une bonne occasion pour le tandem Rickey-Durocher d’évaluer les joueurs des Royaux dans l’éventualité d’un rappel aux majeures en fin de saison. En 1945, malgré une promesse faite par Rickey, les Dodgers avaient rappelé deux des meilleurs joueurs des Royaux et nombreux étaient les partisans et les journalistes qui pensaient que ce geste leur avait coûté une place en Petites Séries Mondiales. Parizeau avait écrit que «cela serait une grande erreur pour les Dodgers, car tous ceux qui avaient pris les partisans montréalais pour des poires n’avaient pas fait vieux os». Après que les Dodgers aient pris une avance de 4 à 0 en début de match, les Royaux sont revenus de l’arrière pour égaliser le pointage à 5 à 5, mais le match a dû être arrêté parce que les Dodgers devaient prendre le train du soir pour Chicago. Plusieurs des 16 168 spectateurs présents ont hué la décision de mettre fin au match et ont lancé leurs coussins sur le terrain en guise de protestation.

Le vendredi 12, les Bisons de Buffalo ont défait les Royaux au compte de 3 à 1, mettant un terme à la série de 10 victoires de l’équipe locale. Jackie a fait marquer le rapide Marv Rackley du deuxième but pour le seul point des Royaux.

À la mi-juillet, les Royaux ont amorcé un voyage de trois semaines qui leur ferait visiter chacune des sept autres équipes du circuit. Au même moment, Montréal a cédé Roy Partlow, qui n’avait pas répondu aux attentes, à l’équipe de niveau C à Trois-Rivières. À la différence de son prédécesseur John Wright, Partlow a mal pris sa démotion. Wendell Smith, l’excellent journaliste sportif, a écrit : «Partlow se comporte comme un enfant gâté ; il devrait moins penser à lui et plus aux 14 millions d’Afro-Américains d’un océan à l’autre qui voudraient qu’il connaisse le succès dans le baseball blanc».

Le mercredi 17 juillet, les Royaux ont balayé deux parties aux mains de Rochester, frappant 28 coups sûrs. Jackie a obtenu un coup sûr et un sacrifice dans le premier match, avant de se reposer pour le second, alors que les Royaux ont augmenté leur avance à 12 matchs et demi. Le dimanche 21, ils ont balayé les Chiefs de Syracuse dans un autre programme double. Robinson en a été le héros, avec 4 coups sûrs en 8 présences, y compris son deuxième coup de circuit de la campagne. Les Royaux avaient maintenant une avance de 15 parties. Le 24, Jackie a déposé un amorti pour un coup sûr, puis quand la balle a été lancée le long de la ligne du champ droit, il a contourné les sentiers pour atteindre le marbre et marquer un point. Jackie a aussi commis une erreur dans ce match – sa première en 58 parties.

Pendant que les Royaux effectuaient ce long séjour à l’étranger, les Crawfords de Montréal (autrefois de Pittsburgh) de la United States Negro Baseball League partageaient un programme double au Stade Delorimier avec les Black Dodgers de Brooklyn.

Durant le programme double à Syracuse, La Presse a rapporté que 10 000 partisans se sont esclaffés quand Robinson a déposé un amorti pour un coup sûr et couru si vite en direction du premier but qu’il en a perdu sa casquette et une chaussure. Il a rapidement remis sa chaussure et immédiatement volé le deuxième but. Le vendredi 26 juillet, Robinson a volé la vedette pour les Royaux avec trois coups sûrs, y compris un circuit, alors que Montréal a défait Baltimore dans un match serré, 10 à 9.

Les Royaux continuaient d’attirer de bonnes foules sur la route, et tout en partageant un programme double avec Baltimore le dimanche 28 juillet, ils ont vu l’équipe locale accueillir 26 038 spectateurs pour augmenter leur total pour la saison à 378 336, établissant ainsi un record de tous les temps pour le circuit. Dans le premier match, une victoire de 3 à 2 des Royaux malgré une performance chancelante de Jean-Pierre Roy, Jackie a participé à quatre double-jeux et a connu un match de 1 en 3. Les Royaux étaient décimés par une épidémie de grippe qui avait mis cinq joueurs sur le carreau pour le dernier match, puis se sont dirigés à Newark. Même si sa performance ne semblait pas s’en ressentir, la revue The Sporting News a noté qu’au cours de la semaine «le stress continuait à augmenter pour Robinson».

Le montréalais Jean-Pierre Roy était un coéquipier de Jackie Robinson en 1945. Il allait plus tard devenir analyste à la radio et à la télévision pour les Expos de Montréal.

Jackie ne brillait pas seulement au bâton, puisqu’il a volé un coup sûr à Yogi Berra des Bears en effectuant un plongeon alors que les buts étaient remplis avec deux retraits lors du premier match. Jackie a frappé un coup sûr en quatre présences lors du match du lundi avant de voler trois buts avec quatre coups sûrs lors du partage d’un programme double le mardi.

Pour finir le mois de juillet, La Presse a fait l’éloge de Jackie : «Jackie Robinson va probablement rejoindre les Dodgers de Brooklyn l’an prochain et ainsi créer un précédent dans l’histoire du baseball. Hier, encore une fois, Robinson a démontré sa valeur pour l’équipe en fracassant un double au champ droit en 10e manche pour faire compter le point décisif dans une victoire de 3 à 2 des Royaux».

Après avoir amorcé le mois d’août par une défaite à Jersey City le mardi 1er, dans laquelle Robinson a obtenu deux coups sûrs, les Royaux ont partagé les honneurs d’un programme double le vendredi suivant, Robinson y allant d’un coup sûr en trois présences dans le premier match, avant de se reposer lors du second.

De retour à domicile pour un autre programme double le dimanche 4 devant 16 556 amateurs, les Royaux ont balayé les deux matchs contre Syracuse, l’équipe qui occupait le deuxième rang au classement. La Presse a noté qu’on ne pouvait pas ignorer la contribution de Robinson. Lors du premier match, Jackie a frappé solidement un simple pour produire un point et effectué un très beau jeu défensif, tout en volant son 32e but de la saison. Lors du second match, il a brillé encore plus, bondissant deux ou trois pieds dans les airs pour saisir une balle frappée d’aplomb par le receveur de Syracuse Joe Just, en plus de faire marquer le point gagnant.

Le lundi, les Royaux ont pris le train vers Trois-Rivières pour un match hors-concours contre les Royaux du niveau C, les défaisant au compte de 8 à 1. Les deux anciens compagnons de chambre de Jackie, Roy Partlow et John Wright, l’attendaient sur le quai de la gare pour lui réserver un accueil chaleureux.

Revenant à Montréal pour y affronter à nouveau Syracuse le mardi 6, le personnel des lanceurs des Royaux a connu mauvais match, aidé par plusieurs erreurs, perdant un concours de frappeurs au compte de 18 à 17 dans un Stade Delorimier envahi par le brouillard. La Patrie a décrit le match comme un simulacre de partie de baseball. Jackie a obtenu trois coups sûrs et marqué quatre points, mais cela n’a pas suffi à Montréal. Les Royaux ont pris leur revanche contre les Chiefs dès le mercredi, avec un gain de 9 à 4, alors que Jackie a connu un match de 3 en 4 pour augmenter sa moyenne au bâton à .367.

Jackie a poursuivi sa séquence heureuse contre les Giants de Jersey City le jeudi suivant et la manchette de La Presse était éloquente : «Jackie Robinson procure une autre victoire à Montréal». Le quotidien a continué ainsi : «Vanter les mérites et souligner la vraie valeur du populaire joueur de couleur Jackie Robinson se révèle être une tâche impossible pour un journaliste sportif, à moins d’avoir recours à un tout nouveau dictionnaire». Jackie a ajouté trois autres coups sûrs, a frappé un triple, et a effectué une course audacieuse sur un court ballon sacrifice pour marquer le point de la victoire. Dink Carroll de The Gazette, qui avait précédemment été plutôt réservé dans ses éloges adressés à Jackie, a ajouté : «Il semble n’y avoir rien qu’il ne puisse faire» et Lloyd McGowan du Star était de l’opinion «qu’il ne lui restait plus rien à accomplir».

Le vendredi 9 août, les Royaux ont défait Jersey City et c’est encore Jackie qui était aux avant-postes avec un triple, un double, un simple et quatre points produits. Sa séquence heureuse consistait maintenant en 14 coups sûrs à ses 19 dernières présences.

Les Royaux ont partagé un programme double avec Baltimore le dimanche 11, alors que Jackie a frappé un triple et un double dans le premier match, produisant deux points, avant de frapper un simple lors du deuxième volet. Les Royaux ont ensuite défait les Orioles le lundi 12, 9 à 1, derrière leur as-lanceur Steve Nagy, avec une contribution de 1 en 3 de Jackie, comprenant un point marqué, un sacrifice et un but volé.

Les Royaux ont ensuite fait mordre la poussière aux Orioles le mardi 13, encore par un pointage de 9 à 1, pour porter leur fiche à 44-13, ce qui leur donnait 15 parties d’avance sur les Bisons de Buffalo, qui occupaient le deuxième rang. Jackie a soutiré deux buts sur balles et marqué deux points mais a été blessé quand un tir de l’artilleur Stan West l’a atteint au biceps. Entre les manches, le soigneur des Royaux Ernie Cook a enveloppé son bras dans la glace pour réduire l’inflammation.

Robinson est revenu au jeu le mercredi dans une victoire de 2 à 1 face au lanceur Johnny Podgajny de Baltimore, Jackie étant tenu en échec alors que c’est son partenaire de double-jeu, Al Campanis, qui a fait marquer le point gagnant. Après la partie, le gérant de Baltimore Alphonse Thomas a confié à La Presse qu’il était heureux de quitter Montréal, puisque les Orioles, même s’ils constituaient l’équipe la mieux payée de la ligue, n’avaient pas l’esprit combatif et le désir de vaincre dont faisait preuve l’équipe de première place, les Royaux.

Les partisans du Stade Delorimier en ont certainement eu pour leur argent le 15 août, un jeudi soir, alors que les Royaux et les Bears de Newark ont présenté un spectacle de cogneurs sans précédent lors d’un programme double. Les Royaux ont gagné le premier match par un pointage de 21 à 6, et Newark a pris sa revanche dans le second, 12 à 2. Au total, les deux équipes ont obtenu 50 coups sûrs et marqué 41 points. Jackie, le meilleur frappeur de la ligue, a connu un match de 3 en 3 avec 4 points marqués dans le premier duel, pour ajouter un autre simple et un point marqué lors du second. Il a ainsi réussi à maintenir son avance sur le candidat de Newark dans la course au championnat des frappeurs, Al Clark, qui a obtenu 5 coups sûrs au cours de la soirée.

Le match du vendredi a été annulé en raison de la pluie, puis les Royaux et les Bears ont partagé les honneurs d’un programme double le samedi au Stade Delorimier. Robinson n’a frappé qu’un seul coup sûr en 8 présences au cours de la journée, tout en produisant 3 points, ce qui a fait baisser sa moyenne sous la barre des .370.

Le dimanche 18 août, les Royaux étaient les hôtes des Maple Leafs de Toronto. Ils ont perdu le premier match et tiraient de l’arrière, 1 à 0 lors de la dernière manche du second en dépit d’une excellente prestation de Curt Davis jusqu’à ce que Jackie fasse marquer le point gagnant. À la suite des deux programmes doubles de la fin de semaine, l’assistance totale avait atteint un chiffre record de 351 022.

Les Royaux sont revenus au jeu face à Toronto le mardi suivant, faisant subir la défaite aux visiteurs, 6 à 5, alors que Robinson a contribué un simple, un triple et deux points produits. Le vendredi 21, le lanceur partant gaucher des Royaux, Steve Nagy, a gagné son 16e match et Jackie a été la vedette à l’attaque dans une victoire de 6 à 2 aux dépens des Maple Leafs. Jackie a obtenu deux coups sûrs, deux buts volés, et a réussi à se rendre du premier au troisième coussin sur un amorti sacrifice. Lloyd McGowan du Star a commenté : «Tous les lanceurs, qu’ils soient droitiers ou patte gauche, ont semblé les mêmes lorsqu’ils ont affronté Jackie au cours des dernières parties. Il peut frapper la balle courbe, et même s’il tire naturellement la balle comme frappeur droitier, il peut la saupoudrer à tous les champs et a démontré qu’il était aussi capable de frapper derrière le coureur». Le quotidien La Presse a ajouté : «Jackie a démontré une fois encore sa vitesse en volant deux autres buts pour porter son total à 35».

Montréal s’est rendu à Buffalo le jeudi 22 et les amateurs locaux ont répondu par la plus grande foule de la saison, 8 437 spectateurs. Les Royaux ont défait les Bisons, 4 à 3, et même si Jackie n’a pas frappé de coup sûr, c’est lui qui a marqué le premier point des siens avec un vol du marbre.

Le soir suivant, les Royaux ont a nouveau gagné pour signer leur cinquième victoire d’affilée, 8 à 3. The Sporting News a commenté : «Robinson a obtenu plusieurs ovations des amateurs de Buffalo, d’abord lorsqu’il a volé le marbre, et ensuite quand il a réussit un double-jeu sans aide le soir suivant».

Le 25 août face aux Red Wings de Rochester, les Royaux ont rebondi suite à une défaite serrée de 3 à 2 en 12 manches, obtenant la victoire dans la seconde partie, 4 à 2, au profit de Curt Davis. Ceci leur a permis de décrocher le titre de la saison régulière avec 90 victoires et une avance de 19 parties. Jackie y est allé de 1 en 9 au cours du programme double et il avait désespérément besoin de prendre un peu de repos afin de permettre à certaines blessures de guérir et pour décompresser face à l’énorme stress qu’il endurait depuis le début de cette saison historique. Clay Hopper a offert à Jackie de prendre congé quelques jours et a déclaré à Newsweek : «Robinson est un joueur qui doit atteindre les grandes ligues. Il est un véritable joueur des majeures, un gars qui ne ménage jamais ses efforts pour l’équipe, et un vrai gentilhomme». On peut dire que son opinion avait changé du tout au tout depuis le moment où Branch Rickey l’avait avisé avant le camp d’entraînement que Robinson ferait partie de son équipe.

La Presse a indiqué que Jackie était indisposé par une blessure à une jambe le lundi 26 août lors d’une défaite des Royaux aux mains des Red Wings, avant de diviser un programme double, encore en l’absence de Jackie.

John Collins de la Gazette a immortalisé Jackie Robinson avec un de ses dessins.

Montréal s’est rendu à Toronto pour un programme double le jeudi 29, mais les journalistes ont harcelé de questions le directeur-gérant montréalais, Mel Jones, qui a dû faire taire une rumeur voulant que Robinson serait rappelé par les Dodgers avant la fin de la saison. «Il a réussi son examen ici, et il ne devrait pas avoir à le recommencer lorsqu’il fera partie des ligues majeures», Jones a-t-il déclaré à Lloyd McGowan de The Gazette. Montréal a balayé le programme double du jeudi face aux Maple Leafs, et si Jackie n’a pas frappé de coup sûr dans le premier match, il est revenu avec un simple et un double, ainsi que deux points marqués, lors du second. Chet Kehn des Royaux a perdu une partie parfaite lors du premier match en raison d’un simple sur un amorti en 6e manche, le seul coup sûr qu’il ait accordé.

Les Royaux ont divisé un programme double contre Toronto le vendredi 30 août. The Sporting News a rapporté : «Dans le second match, Jackie Robinson, le joueur d’avant-champ étoile de race noire, a été déplacé au troisième-but, un poste qui semble-t-il sera le sien à Brooklyn la saison prochaine». Le samedi 31 août, les Royaux ont défait les Maple Leafs, avec une contribution de deux coups sûrs, un point et un point produit de la part de Robinson.

En août, Robinson a frappé pour une moyenne de .366 avec 10 doubles, 5 triples, 6 buts volés, et 33 points marqués alors que les Royaux ont remporté la victoire dans 24 de leurs 35 matchs.

Enfin de retour à domicile au Stade Delorimier le dimanche 1er septembre, les Royaux ont balayé Buffalo lors d’un autre programme double. Jackie a obtenu un coup sûr dans chacun des matchs tout en volant un but lors du match d’ouverture pendant que le voltigeur de centre Marvin Rackley frappait pour le carrousel.

Le jour suivant, le 2 septembre, était la Fête du Travail, et plus de 27 000 personnes sont reparties déçues alors que leurs héros ont perdu les deux matchs d’un énième programme double, les Bisons étant la première équipe à leur faire subir un tel affront au cours de la saison. Jackie a été 3 en 9 avec 2 points produits lors des deux défaites.

Après une journée de congé le mardi, les Royaux sont revenus au jeu contre les Red Wings de Rochester, partageant les honneurs du programme double. Jackie a obtenu 2 coups sûrs en 7 présences avec 2 buts volés et un point marqué lors des deux matchs. Les but volés lui donnaient un total de 40 pour la saison.

Le mercredi 4 septembre, la manchette de La Presse était éloquente : «Un début brillant pour Jackie Robinson au troisième but». Elle rapportait ensuite que «les jours de Cookie Lavagetto au troisième but pour les Dodgers sont comptés puisque Jackie Robinson va certainement le remplacer le printemps prochain».

Après deux parties au troisième but au cours desquelles Jackie a amorcé un double-jeu de brillante façon, effectué un bel attrapé, bloqué plusieurs roulants et effectué plusieurs relais précis, le gérant Clay Hopper a dit aux reporters : «Il réussit tout ce que nous lui demandons de faire».

Le jeudi 5 septembre, Jackie était de retour au deuxième but dans une défaite contre Rochester, puis le gérant Hopper lui a accordé un congé le vendredi et le samedi, alors que les Royaux ont gagné un des deux matchs. Le dimanche 8, les Royaux disputaient leur 39e programme double de la saison, ce qui représentait plus de la moitié des matchs d’une saison complète de 154 parties.

Les Royaux ont atteint leur objectif de remporter 100 victoires en saison régulière lors du deuxième match contre les Maple Leafs. Jackie y a été d’une performance de 1 en 5 lors du premier match, et 1 en 3 dans le second pour s’assurer du titre de champion frappeur de la ligue avec une moynne de .349, menant également le circuit avec 113 points marqués, tout en volant 40 buts et n’étant retiré que 27 fois au bâton. Son total de buts volés était le deuxième plus haut de la ligue, derrière seulement son coéquipier Marvin Rackley.

Les Bears de Newark étaient les visiteurs au Stade Delorimier pour la série éliminatoire de demie-finale, qui a débuté le mercredi 11 septembre. Steve Nagy, le meilleur lanceur montréalais avec une fiche de 17-4, a commencé la partie pour l’équipe hôtesse et lançait un blanchissage jusqu’en 9e manche quand il a montré des signes de faiblesse alors que les Royaux ont gagné par un pointage de 7 à 5. Jackie a été la vedette offensive de l’équipe, avec trois coups sûrs en quatre présences, un double, un point marqué et trois points produits.

Le lendemain, le jeudi 12 septembre, les Royaux ont eu besoin d’un amorti suicide d’Al Campanis en fin de 9e manche pour battre les Bears par la courte marge de 2 à 1. Jackie a été blanchi en trois présences alors que les lanceurs Glen Moulder pour les Royaux et Duane Pillette des Bears n’ont accordé que cinq coups sûrs chacun.

La série s’est déplacée à Newark le samedi et dimanche, et les Bears sont revenus avec force grâce à d’excellentes performances de leurs lanceurs pour remporter deux courtes victoires aux dépens des Royaux. Robinson n’a réussi qu’un double au cours de la deuxième partie, faisant marquer le seul point de son équipe.

Branch Rickey était présent dans les gradins à Newark le lundi suivant pour assister à un excellent match de Glen Moulder dans un gain de 2 à 1 des visiteurs. Jackie a fait marquer le point gagnant et y est allé de 1 en 3 alors que Montréal a repris l’avance dans la série, trois victoires contre deux.

Le mercredi 18 septembre, de retour au Stade Delorimier, les Bears détenaient une avance de 4 à 3 quand en fin de 9e manche, le gérant de Newark, le Canadien George Selkirk, s’est objecté avec véhémence à une décision de l’arbitre, qui avait refusé d’appeler une troisième prise contre le joueur de premier-but des Royaux, Les Burge. Selkirk a été expulsé, de même que trois de ses joueurs. Bénéficiant d’une nouvelle chance avec un compte complet, Burge a expédié la balle pour un coup de circuit, nivelant la marque. Le rapide voltigeur Tom Tatum a ensuite frappé un simple et le receveur Herman Franks a cogné un long double contre le tableau indicateur, permettant à Tatum de faire le tour des buts et de marquer sur un jeu serré au marbre, évitant de justesse le gant du receveur Yogi Berra.

La Presse a qualifié ce dernier match de la série de «fin de partie frénétique», et un reporter a cité par la suite un passager du tramway qui lui a dit qu’«un match pareil, ça n’arrive qu’une fois tous les vingt-cinq ans».

Pour sa part, Jackie a commenté après sa journée de 2 en 4 avec 2 points marqués : «George Selkirk est venu me serrer la main et celle des autres joueurs et a démontré une classe digne d’un gentilhomme en dépit de la défaite amère et de l’élimination de son équipe». Pour la série. Jackie a frappé pour .318.

Montréal a poursuivi en affrontant les Chiefs de Syracuse avec comme enjeu la Coupe du Gouverneur, le championnat de la Ligue Internationale.

À domicile le jeudi 19 septembre, les Royaux ont commencé la série du mauvais pied en perdant le premier match au compte de 5 à 0. Jim Prendergast, le lanceur gaucher de la filiale des Reds de Cincinnati, n’a permis que quatre coups sûrs dans la victoire des Chiefs.

Le lendemain, un vendredi, ils sont revenus avec force pour l’emporter 14 à 12, le point gagnant marquant sur un circuit à l’intérieur du terrain bon pour trois points par le releveur Chet Kehn en 8e manche. Le vieux de la vieille Curt Davis est venu lancer la 9e manche pour préserver la victoire alors que Jackie a contribué avec deux coups sûrs en quatre présences, un double et deux points marqués.

Après une journée de voyage le samedi, les Royaux ont dominé les Chiefs 11 à 1 le dimanche 22 à Syracuse, profitant d’une excellente performance au monticule de Curt Davis. Jackie a été 1 en 5 dans la victoire.

Après deux jours de pluie consécutifs à Syracuse, les Royaux ont triomphé 7 à 4 le mercredi 25 septembre. Jackie a obtenu un coup sûr en trois présences et a marqué un point. Le lendemain, les Royaux ont mis un terme à la série au Stade MacArthur, par quatre victoires contre une seule, avec une autre victoire de 7 à 4. Jackie a joué un rôle clé dans cette victoire avec 4 coups sûrs en 5, un point marqué, deux points produits et un but volé, Après avoir été blanchi lors du premier match, Jackie a frappé 8 coups sûrs en 17 présences pour aider les Royaux à remporter leur seconde finale de la Coupe du Gouverneur, sa moyenne pour la série s’élevant à .400.

Montréal a ensuite pris la route vers le sud, se dirigeant à Louisville au Kentucky pour y affronter les Colonels, les champions de l’Association Américaine, lors des Petites Séries Mondiales. Robinson avait résisté aux insultes qui lui avaient été adressées jusqu’à maintenant, mais Louisville promettait de hausser les hostilités à un tout autre niveau. Le voltigeur de l’équipe de Louisville, John Welaj, a dit à propos des partisans des Colonels : «Ils l’ont appelé de tous les noms». La Presse a noté qu’alors que les Royaux séjournaient à l’Hôtel Brown, Jackie devait se loger chez un avocat prospère de race noire.

Les partisans de Louisville ont hué Robinson aussi souvent que possible, qu’il soit au bâton ou à son poste en défensive. Le lanceur des Colonels Otey Clark a déclaré : «Je me souviens que notre lanceur Jim Wilson l’a forcé à se jeter à terre, et les partisans se sont mis à applaudir. Mais Robinson ne semblait pas y prêter la moindre attention».

Jackie a connu une journée difficile au bâton, ne frappant aucun coup sûr en cinq présences lors du premier match le samedi 28, la seule fois de toute la saison où il n’obtiendrait aucun coup sûr en autant d’opportunités. Les Royaux ont néanmoins arraché une victoire de 7 à 5 lors de ce premier match grâce à deux circuits du premier-but Les Burge. Les Colonels ont répliqué le dimanche avec une performance exceptionnelle du lanceur Harry Dorish, qui a lancé un blanchissage de deux coups sûrs. Jackie a encore été blanchi en deux présences et a commis une erreur.

Le lundi, les Colonels ont explosé pour 19 coups sûrs lors d’une victoire de 15 à 6 de l’équipe hôtesse, alors que le lanceur des Montréalais, Steve Nagy, n’avait pas son contrôle et que les releveurs n’ont pas non plus été en mesure de contenir l’attaque de Louisville. Des policiers en motocyclette ont escorté jusqu’à la gare les taxis des visiteurs pour le long voyage de retour à Montréal, alors que les Royaux tiraient de l’arrière deux victoires contre une dans la série.

Discutant du traitement de Jackie par les amateurs locaux durant le voyage vers Montréal, le voltigeur de Louisville George Bennington a dit à un reporter de La Presse : «Si j’avais été lui, j’aurais lancé mon gant au sol et quitté le terrain et le baseball tout court. Robinson est vraiment extraordinaire!» L’arrêt-court des Royaux Al Campanis a ajouté: «Robinson n’a pas très bien joué là-bas, mais attendez un peu de le voir à Montréal où les partisans sont ses amis».

Seulement 14 685 spectateurs se sont présentés au Stade Delorimier lors d’un mercredi soir froid et humide pour voir les Royaux égaliser la série à deux victoires chacun. La Presse a décrit la situation ainsi : «Autant Jackie Robinson a été la cible des huées des amateurs de Louisville au cours des trois matchs précédents, autant il a été applaudi lorsqu’il a frappé un coup du Texas pour faire marquer le point gagnant en 10e manche».

Dans son autobiographie «My Own Story», il a décrit la réponse des amateurs montréalais : «Nous avons découvert que les Canadiens étaient sur le pied de guerre en raison du traitement que j’avais reçu. En nous accueillant chaleureusement, ils nous ont laissé savoir ce qu’ils ressentaient… Durant tout ce premier match à domicile, ils ont hué chaque fois qu’un joueur de Louisville quittait l’abri des joueurs. Je n’approuvais pas ce genre de réplique, mais j’ai ressenti une gratitude joyeuse en raison de la façon dont les Canadiens exprimaient leurs sentiments».

Montréal tirait de l’arrière 5 à 3 en fin de 9e manche, mais les Royaux ont rempli les buts puis créé l’égalité pour préparer la scène pour Robinson en 10e. Jackie a connu un match de 4 en 5 avec un point marqué et le point produit décisif dans la victoire. Louisville avait accordé un but sur balles intentionnel à Marv Rackley, préférant affronter Jackie avec le point gagnant au troisième coussin.

C’est encore Jackie qui a mené les Royaux le jeudi 3 octobre, alors qu’il a frappé un double et marqué dès la 1ère manche, puis a frappé un triple et marqué le point gagnant éventuel en 7e, avant de réussir un amorti pour un simple qui a fait marquer Al Campanis pour le point d’assurance en 8e dans ce qui serait une victoire de 5 à 3 des Royaux, devant 17 758 spectateurs.

Le vendredi 4 octobre, les Royaux ont envoyé le vétéran Curt Davis, qui comptait plus d’un tour dans son sac, sur la butte avec le championnat en ligne de mire. Davis, qui avait célébré son 43e anniversaire de naissance le jour précédent, a lancé comme un maître, éparpillant 9 coups sûrs dans un blanchissage qui s’est terminé par le pointage serré de 2 à 0. En 9e manche, il a forcé un frappeur adverse à frapper dans un double jeu au deuxième but, le deuxième amorcé par Jackie ce jour-là, pour préserver le blanchissage. Jackie a aussi frappé deux simples, le seul joueur de la partie a réussir plus d’un coup sûr.

Après le dernier retrait, les Royaux ont couru vers la chambre des joueurs alors que des milliers de leurs partisans envahissaient le terrain. Le personnel du stade et la police ne pouvaient rien faire contre une foule énorme de 19 000 personnes. Le reporter Sam Maltin du Courier et du Herald, qui était par ailleurs un bon ami de Jackie, a décrit la scène comme suit : «Les partisans ont refusé de quitter le terrain et ont scandé “Il a gagné ses épaulettes” et “Nous voulons Robinson”. Clay Hopper a été le premier à sortir et la foule l’a porté en triomphe sur ses épaules, puis Curt Davis a fait son apparition et les amateurs l’ont lui aussi transporté autour du terrain». Mais les spectateurs refusaient de quitter les lieux tant que Jackie ne soit venu les saluer. Maltin de continuer : «Une délégation de placiers est venue voir Jackie et lui a demandé de sortir sur le terrain pour leur permettre de fermer le stade et mettre un terme à la saison. Jackie est sorti et la foule s’est précipitée sur lui. Des hommes et des femmes de tous les âges l’ont serré dans leurs bras, l’ont embrassé et l’ont ensuite transporté sur leurs épaules autour de l’avant-champ, criant à en perdre la voix. Jackie, les larmes aux yeux, a tenté en vain de les faire renoncer à le combler plus longtemps de leurs hommages».

Les Royaux de Montréal édition 1946, champions de la petite série mondiale.

Dans «My Own Story», Jackie a ajouté : «Quand j’ai enfin été prêt à quitter le vestiaire, le passage était bloqué par au moins trois cents amateurs. Chaque fois que j’ouvrais la porte, ils commençaient à crier et à pousser. Je ne pouvais pas sortir, et les placiers et la police ne pouvaient pas passer à travers la foule pour venir me chercher. Finalement, il a fallu que je tente ma chance. J’ai remis mon sac à un amis, j’ai plié les épaules et je me suis lancé directement dans cette masse de monde».

Sam Maltin a poursuivi l’histoire : «C’était le genre de manifestation que l’on n’avait jamais vu par ici. Encore une fois la foule s’est mise à le prendre dans ses bras et à l’embrasser. Il a essayé d’expliquer qu’il avait un avion à prendre, mais ils ne voulaient pas écouter ou entendre ce qu’il avait à dire. Ils le retenaient, mais – comme il l’avait fait lorsqu’il jouait au football à UCLA – Robbie a gentiment repoussé ses admirateurs puis s’est frayé un chemin jusqu’à ce qu’il aperçoive une ouverture. Alors, il s’est mis à courir. La foule courait après lui. Il a descendu la rue, poursuivi par cinq cents personnes. Les gens ouvraient leur fenêtre et sortaient de chez eux pour voir ce qui causait ce brouhaha. Pendant trois coins de rue, ils l’ont poursuivi, jusqu’à ce qu’une voiture arrive à ses côtés et quelqu’un lui crie : ‘Monte à bord, Jackie’, et ils ont réussi à le ramener en sécurité jusqu’à son hôtel. C’était probablement la première fois de l’histoire qu’un homme noir fuyait devant une foule blanche animée de pensées d’amour et non de lynchage».

À l’aéroport le lendemain matin, Jackie a pris l’avion pour Detroit afin de rejoindre une équipe effectuant une tournée de matchs hors-concours. Au kiosque à journaux, le quotidien Le Canada affichait comme titre : «Les Royaux sont champions du monde» accompagné d’une photo d’équipe, et des portraits individuels du lanceur gagnant et du favori des amateurs, Jackie Robinson.

Jackie s’est confié au reporter Wendell Smith : «Alors que mon avion décollait et que les lumières de Montréal brillaient en scintillant au loin, j’ai regardé une dernière fois cette grande ville où j’avais connu tant de bonheur. Je m’en fiche si je ne me rend jamais dans les majeures, me suis-je dit. Cette ville est pour moi. C’est mon coin de paradis».

«Dans son livre, Jack écrit qu’il doit plus aux Canadiens qu’ils ne le sauront jamais. Nous étions passionnément amoureux et trépignant à l’idée de fonder une famille. Je ressentirai toujours un profond sentiment de gratitude et d’appréciation à l’endroit des gens de Montréal,» a dit Rachel Robinson. «Cela a beaucoup contribué à notre future réussite ».

N.B. L’auteur a utilisé les compte-rendus de parties publiés dans les journaux montréalais. Ceux-ci peuvent différer des compte-rendus publiés par certaines autres sources.