Nos héros des droits civiques

Textes de Patrick Carpentier, Marcel Dugas et Robert Duval.

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Montréal a eu le privilège de voir évoluer deux joueurs de baseball d’importance qui ont par la suite eu un rôle considérable dans les luttes pour les droits civiques aux États-Unis. Jackie Robinson a été le premier joueur afro-américain du 20e siècle à briser la barrière raciale du baseball organisé. Roberto Clemente a été le premier joueur originaire d’Amérique latine à être intronisé au Temple de la renommée du baseball à Cooperstown. Ces deux héros ont milité en faveur des droits civiques en compagnie de Martin Luther King et ont fait avancer le statut des joueurs de couleur dans tout le baseball. Et tous deux ont débuté leur carrière professionnelle avec les Royaux de Montréal.

Montréal était en effervescence après la seconde guerre mondiale. La métropole était entrée dans une ère de forte croissance, tant économique que culturelle. Avant tout francophone, la ville possédait toutefois une importante population anglophone et de nombreuses communautés ethniques venues d’Europe. Il y avait également une communauté noire composée d’immigrants venus des États-Unis et des Caraïbes qui a  fait de Montréal une des plaques tournantes du jazz en Amérique du Nord à partir des années vingt. La scène culturelle montréalaise était active, sa scène sportive tout autant. À cette époque, le baseball était le sport estival préféré des montréalais.

Les Royaux ont connu une première mouture de 1897 à 1917. Ils ont ensuite effectué un retour triomphal en 1928. Évoluant au Stade Delorimier, le parc de baseball le plus moderne du baseball mineur organisé, les Royaux sont vite devenus une attraction prisée des partisans montréalais. Ils ont remporté un premier championnat en 1935 grâce aux talents offensifs du joueur québécois Gus Dugas. En 1939, les Dodgers de Brooklyn en on fait leur club école principal. De nombreuses futures vedettes du baseball majeur ont dès lors passé par Montréal au fil des années. C’est dans ce contexte que Jackie Robinson et Roberto Clemente sont arrivés dans la métropole.  

Jackie Robinson (1919-1972)

Connu surtout comme étant l’homme qui a brisé le rigide système de ségrégation raciale qui sévissait dans le baseball, Jackie Robinson a profondément marqué la société américaine au 20e siècle. Son rôle de pionnier dans le sport, les médias et les affaires, de même qu’une vie passée à se battre pour un monde plus juste lui ont valu de nombreux hommages, dont le retrait de son numéro 42 à travers le baseball professionnel. Un chapitre central de l’histoire de Jackie Robinson s’est écrit à Montréal et les Québécois n’ont pas été que de simples spectateurs, mais des participants actifs de ce qu’on a appelé « la grande expérience » de l’intégration du sport.

Athlète d’exception dès son jeune âge, Robinson est une étoile sportive à l’université. Il excelle dans tous les sports, sauf au baseball. S’il y avait eu plus de débouchés professionnels pour les Afro-Américains au basketball ou au football au moment ou Robinson a offert ses services aux Monarchs de Kansas City de la Negro American league, le cours de l’histoire aurait pu être complètement différent.

À l’automne 1945, Robinson devient le premier Afro Américain à signer un contrat avec une organisation majeure au 20e siècle, en l’occurrence les Dodgers de Brooklyn. Mais avant les grandes ligues, il doit faire ses classes avec le principal club-école des Dodgers, les Royaux de Montréal. 

Malgré l’immense pression qui pesait sur ses épaules et malgré l’hostilité qui lui était manifesté par les joueurs adverses et par les spectateurs de certaines villes, Jackie a prouvé hors de tous doutes que les Afro Américains avaient leur place dans le baseball dit « organisé ». Il a été le principal rouage offensif d’un club qui a remporté le championnat de la saison régulière par 18 matchs et demi, menant le circuit pour la moyenne offensive, les coups sûrs et la moyenne de présence sur les sentiers.

Après avoir remporté le championnat des séries de la Ligue internationale, les Royaux ont triomphé lors de la petite Série mondiale, championnat de l’ensemble des ligues mineures. Après l’ultime rencontre, les partisans montréalais, qui supportaient Jackie de manière indéfectible depuis le premier jour de la saison, ne voulaient pas laisser partir leur nouveau héro. Ils l’ont acclamé, porté en triomphe et l’ont même pourchassé dans la rue « non par haine, mais par amour » comme l’a écrit un observateur de la scène. Au printemps suivant, Jackie a amorcé une carrière de dix saisons dans le baseball majeur qui l’a mené au Temple de la renommée dès sa première année d’éligibilité. Ses statistiques en carrière sont impressionnantes : Recrue de l’année en 1947, joueur le plus utile à son équipe en 1949. Moyenne offensive de ,311, OPS de ,883, un WAR total de 61,4 et près de deux fois et demie plus de buts sur balles que de retraits au bâton.

Alors que Jackie Robinson débuta sa carrière dans le baseball organisé blanc avec fracas à Montréal en 1946, Clemente le fit sans tambour ni trompette au même endroit huit ans plus tard. Pourtant sa carrière au baseball professionnel fut longue et marquée par de multiples exploits. De 1955 à 1972 avec les Pirates de Pittsburgh il remporta deux séries mondiales et accumula, entre autres, douze gants d’or, quatre championnats des frappeurs de la ligue nationale, un titre de joueur le plus utile à son équipe en saison régulière et un autre de joueur le plus utile en séries en 1971 et ce donc, à l’âge de 37 ans. Le Portoricain termina sa carrière avec précisément 3000 coups sûrs et fut intronisé au temple de la renommée du baseball dès sa première année d’éligibilité en 1973 suite à son décès dans un accident d’avion le 31 décembre 1972 alors qu’il allait porter des vivres et des médicaments au Nicaragua suite au tremblement de terre survenu à cet endroit une semaine plus tôt.

Roberto Clemente (1934-1972)

Originaire de la petite ville de Carolina, Clemente signe le 19 février 1954, à l’âge de 19 ans seulement, un contrat avec les Dodgers de Brooklyn pour un salaire de 5000 $ en plus d’un boni à la signature de 10 000 $. Les Dodgers adoraient sa vitesse, son bras et son agressivité. Les règlements à cette époque obligeaient une équipe qui signait un joueur pour un boni et un salaire de plus de 4000 $ à le garder dans l’alignement des majeures pour deux ans, sinon elle risquait de le perdre au repêchage. Il est donc surprenant de constater que Clemente passa toute la saison 1954 à Montréal avec les Royaux et ce, en jouant très peu.  Certains ont dit qu’on voulait le cacher pour lui éviter d’être repêché par une autre équipe, d’autres ont affirmé que le gérant Max Macon considérait qu’il n’était même pas prêt pour le calibre AAA puisqu’il s’élançait sur un peu n’importe quoi. Macon utilisait Clemente contre les lanceurs gauchers surtout en deuxième moitié de saison ou encore en fin de partie par mesure défensive. Clemente était profondément malheureux de ne pas jouer et a songé à plusieurs reprises à quitter les Royaux. Comme les équipes ne pouvaient perdre qu’un joueur lors du repêchage de ce qu’on appelait les «bonus babies », les Dodgers ont tenté de s’entendre avec les Pirates qui avaient le premier choix, pour qu’ils choisissent un autre joueur, mais Branch Rickey a bel et bien jeté son dévolu sur Roberto.

Longtemps au cours de sa carrière, Clemente ne fut pas apprécié à sa juste valeur. D’abord il jouait dans un petit marché, il était souvent blessé et n’était pas en très bon terme avec les journalistes. Il était un homme fier de sa race qui n’acceptait pas d’être souvent traité comme une vedette de second ordre. De plus, même s’il était un latino, aux yeux des gens, Clemente était un noir et, possiblement dans une moindre mesure que Robinson, il a eu à subir de la discrimination raciale surtout dans les villes du sud des États-Unis. À certains endroits, il ne pouvait pas loger au même hôtel ni manger dans les mêmes restaurants que ses coéquipiers. Quoi qu’il en soit, tous ceux qui ont vu jouer Roberto se souviennent  d’un athlète extraordinaire, très agressif sur le terrain et avec un bras difficile à égaler.

Lors de la saison 1971 les Pirates visitaient le parc Jarry. Il y a eu un long délai de pluie et Fernand Lapierre, l’organiste des Expos, était à peu près le seul dans le stade et il jouait des mélodies pendant que les spectateurs se cachaient sous les estrades. Clemente s’est alors informé ou était l’organiste et il est monté voir Lapierre en uniforme avec son compatriote Jose Pagan. Les deux se sont mis à lui demander de jouer des chansons sud-américaines et les trois personnages ont eu beaucoup de plaisir à chanter et danser ensemble. Clemente et Lapierre devinrent alors de bons amis le premier étant un peu le mentor du second. Si Roberto n’était pas décédé, Fernand devait le visiter dans son pays en janvier 1973 et ce aux frais du Portoricain.

Pour les Potoricains, Roberto est un héros. Tous les hivers, il retournait chez lui pour jouer au baseball et s’assurer que le sport y demeurait florissant. Il a de plus combattu l’injustice toute sa vie et il est mort en essayant d’aider le peuple du Nicaragua. Roberto Clemente grande vedette, mais héros obscur.